Alors voilà un type, un citoyen, un "gens" comme vous et moi, qui se fait arrêter dans un aéroport européen parce qu'il a violé autrefois une jeune fille. Jusque là, tout est convenable. Quand on sait, de plus, que ce type s'est soustrait à la justice, fuyant le pays où s'est déroulé son méfait, jouant des accords d'extradition pour ne pas se trouver pris, il était temps que cette arrestation intervienne. Mais l'affaire prend une autre tournure lorsque le quidam s'appelle Roman Polanski.
Alors parce qu'on est un cinéaste primé, on peut échapper à un jugement, fondé, nécessaire et répondant à une grave faute de comportement ? Parce qu'on a été l'époux de Sharon Tate, victime d'un carnage, on est pardonné d'office, absous par la société selon un principe de donnant-donnant ? Je ne crois pas, et je ne suis sans doute pas le seul. Même si les faits ont trente ans, même si la victime a pardonné, même si un accord à l'amiable avait été trouvé mais refusé par le juge, même si ce juge a fait preuve d'acharnement, (ou juste de conscience professionnelle ?), même si dans certains pays le temps prescrit les fautes, Roman Polanski va devoir s'expliquer sur sa posture de fuite et son slalom géant sur les pentes de la procédure judiciaire internationale. De fait, rien que pour avoir évité avec soin la justice, le cinéaste mérite cette arrestation. Il s'en remettra, et son talent ne sera pas entaché.
D'autres, avant lui, ont connu les foudres de la justice. Woody Allen a traversé une pénible période, pour des histoires de relations avec une mineure qui est devenue son épouse. Mais il n'a pas fui, il a fait face au monde qui avait sur lui les caméras braquées comme pour un hallali médiatique. Il s'en est relevé, avec courage et force. Les histoires de fesses du show-biz, de starlettes abusées pour décrocher un premier rôle, font les grands titres de la presse à sensation, comme on l'appelait avant qu'elle devienne "pipeule". Les frasques de Polanski, peu reluisantes qu'elles soient, ne sont pas le sujet.
Car si l'on place l'objectif sous un angle différent, si l'on change l'éclairage du plateau, on peut voir une autre facette de cette misérable affaire. Qu'est-ce qui a poussé la Suisse, pays vertueux et protecteur des riches fortunes dont Polanski fait partie, à appliquer à la lettre une mesure répressive ? En se penchant sur son statut supposé de "paradis fiscal", l'attitude devient plus compréhensible. En effet, placée sur la liste grise des pays hébergeant de dangereux nantis, la Suisse s'est vue soudain mise au même rang que le Liberia ou le Vanuatu. Elle a donc réagi en donnant trois mille noms de contrevenants au gouvernement français, des mauvais sujets ayant cherché à se soustraire à l'impôt. Elle s'est rachetée et la voilà blanchie, pas comme de l'argent, mais comme une lolita souillée par le doute de sa virginité... Et depuis, elle fait montre d'une vertu infaillible, dénonçant les fuyards de toute espèce. Des Polanski, il y en aura d'autres. A moins que Zürich ne devienne un aéroport figurant sur la liste noire des endroits à éviter.
A part ça, mon épaule va bien, merci.