jeudi 24 décembre 2009

30 ans après, la suite

A son tour, mon ami Antoine, brillant officier (comme nous tous !) de la promo 79 de Navale, apporte son témoignage à notre soirée de du début du mois. Merci et bravo pour cette contribution que je publie à sa demande, sans en changer un mot. D'ailleurs, si ce nouveau billet inspire d'autres camarades, envoyez-moi votre proposition. Je la publierai si vous le souhaitez. Mieux : si nous sommes assez nombreux à témoigner de cette soirée, nous pourrions en éditer un petit recueil pour la mémoire, comme un album promo. Ainsi, les absents pourraient piocher dans ces visions les images qu'ils ont manquées. Au fait, le photographe qui a mitraillé le cocktail a-t-il fait de bons clichés ?


"Mardi 3 décembre 2009, 19h35... Fin de journée habituelle dans mon bureau de la DPMM ; face à moi, une pile de dossiers que je n’ai pas eu le temps de consulter et signer, à gauche cette vue imprenable sur les colonnes du ministère de la Marine, la place de la Concorde et surtout le Grand Palais. Quel luxe ! Profiter au quotidien de ce panorama... Je ne me lasserai jamais de ce coucher de soleil sur le Grand Palais, ce drapeau français au dessus de la coupole, seul symbole de couleur dans la nuit parisienne. Là planté, immobile, notre identité nationale fièrement installée au coeur de notre capitale.

... Journée habituelle, non pas vraiment, Charlotte est à Londres pour une semaine et ne particpera pas à cette réunion d’anciens. Qui trouverai-je dans quelques minutes dans les salons de l’hôtel de la Marine dont la lumière monte déjà jusqu’à mon bureau ? Version anciens combattants avec un refuge dans le “tu te souviens de...” un peu pathétique ou version cadres bourgeoisement installés et plein de projets ?... Il y aura certainement les deux et tant mieux. Comme tous les jours, je me répète Mac Arthur en enfilant ma veste galonnée et médaillée “la jeunesse n’est pas un âge, elle est un état d’esprit”... J’espère que nous nous retrouverons entre jeunes ce soir.

... Arrivé dans les salons, une banalité pour le chanceux que je suis, habitué aux buffets, déjeuners de travail ou commissions supérieures mais tout de même, Marc nous rappelle le remarquable travail accompli par le biais d’un mécénat. C’est le lieu qu’avait choisi le Président Mitterand pour recevoir ses hôtes prestigieux en 1989, aujourd’hui, le prestige s’appelle Denis, Vincent, Alain et les autres. Quarante camarades de promotion dans cette caverne sous les ors, les rouges, les bleus et surtout les lustres et les regards complices de quelques anciennes figures maritimes. Comment avant de penser aux amis présents, ne pas être ébloui devant ce génie français ?... Oui, je le reconnais, je ressens une certaine fierté et une profonde émotion face à ce patrimoine parisien qu’ont réalisé nos prédécesseurs. Et dire que dans quatre ans ou peut-être moins, il faudra passer la main, j’espère encore que la sagesse l’emportera et que notre république ne bradera pas ce bijou.

Au-delà du décor, ce sont mes amis de trente ans que je suis venu retrouver. Premières impressions : ils vont bien ! Jugement prétentieux penseront certains ; non ! Avis instinctif de quelqu’un qui baigne dans les RH depuis plusieurs années et qui mesure jour après jour le poids du “struggle for life” cher à Darwin si prégnant pour de nombreux marins, de nombreux humains. Dans notre pays trop riche d’enfants gâtés, on a construit des être fragiles sans résilience. Notre génération, notre promotion a-t-elle été épargnée ou a-t-elle rebondi quand il le fallait ? En tout cas, “ils” vont bien et la soirée sera joyeuse.

J’aime que mes amis réussissent et j’ai une véritable admiration pour ceux qui se sont glissés dans le monde civil et y ont trouvé une activité intéressante et épanouissante. L’étape est peut-être moins compliquée à franchir que je l’imagine ... Mais on ne m’ôtera pas de l’idée qu’on y défend d’autres valeurs - sans aucune hiérarchisation entre elles - et que cette mutation est une profonde rupture.

Revenons à cette soirée où trente ans après, on se retrouve mais dans des registres tous différents : vieux couples/jeunes couples, grand-pères/jeunes papas, parisien/provincial, métropolitain/expat, sédentaire/voyageur... sans oublier militaire/civil. On ne peut pas ne pas évoquer ces trois années partagées sous le regard exigeant et... protecteur de nos loufiats (deux sur trois seront présents).

Quelques coupes de champagnes, des toasts, pas besoin d’ice-breaker, les décibels sont vite au rendez-vous et les discussions se succèdent. On croit s’éloigner de son monde professionnel mais très vite, les échanges tournent autour de l’A400M et son retard, des exportations hypothétiques de Rafale, du battle lab de Thalès à quelques jours de décisions internes stratégiques... Aurions-nous les manettes de la Défense ? De N- 100 que nous étions à l'École navale, nous avons certes franchi quelques échelons mais restons modestes et attendons encore quelques années pour qu’il y ait parmi nous peut-être un véritable décideur...

Halte aux parenthèses, retour au coeur de cette soirée et ses pépites : le Sénégal, l’Inde, la Libye, les États-Unis, la Grande-Bretagne... Autant de lieux que nous racontent nos aventuriers de l’industrie, ils ont pris le relais des escales.

Il est temps de passer à table. Bravo Marc pour cette organisation, dîner assis dans les grands salons pour environ quatre-vingt convives, personne ne l’oubliera. “Jules” très ouvert, je choisis une table de “marcels” et “seuteux”. Mes voisins, cadres sup, découvrent les méandres de la haute administration ou des couches dirigeantes : billard à trois bandes, batailles d’égo, cooptations... Il est un moment ou un stade où on sort du rationnel, l’important est de trouver sa place dans cet environnement, dans ces réseaux, garder son éthique et en final croire en la victoire d’une certaine morale. Entre coups tordus et exploits personnels décrits avec fanfaronnade ou humilité selon le caractère des individus (pour ça, peu de changement par rapport aux années 79/80), le dîner donne l’occasion d’un partage très sympa et de découverte mutuelles enrichissantes. Pierre, en porte-parole tonitruant (on ne le refait pas et on l’aime comme ça) de l’hôte du soir (Marc) n’a bizarrement pas posé de questions mais donné le mot de la fin en remerciant avec justesse les serveurs et cuisiniers. Retour dans le salon diplomatique pour poursuivre le tour des copains et conjoints : eh toi ? “retraité, c’est ma femme qui bosse !” dit avec un grand éclat de rire et en présence de la dite “femme” apparemment pas malheureuse de la situation... Il est vrai qu’ils (les gestionnaires de la DPMM bien sûr) ont voulu le mettre dans un bureau en face d’un ordinateur, ce n’était vraiment pas son truc, il a choisi, bravo Yannick.

Les figures de proue de notre promotion n’ont pu se déplacer : notre évèque Jean-Marie resté avec ses ouailles bretons, notre premier amiral Charles-Edouard succombant aux charmes de la perfide albion, notre majou Tanguy, toujours retenu à d’autres occupations, notre premier civil Jean-Pierre la tête dans les étoiles, les pieds à Kourou... ou encore bien d'autres.

Mais, ils sont là !

Tout d’abord, les quatre amiraux métropolitains, fierté de la promotion. Les deux parisiens, jeunes cadres dirigeants, ont préféré la sobriété du costard-cravate, histoire de se retrouver entre copains partageant les mêmes dossiers ou plutôt la même vie du “métro-boulot-dodo” un peu abrutissante... C’est un moment de plaisir, pensons à autre chose. Nos deux toulonnais arborent fièrement leurs étoiles et ils ont raison... C’est le soleil et la joie du sud qui montent avec eux. rayonnants, ils portent bien cette promotion méritée.

Philippe, sa vie est un piano, hérédité oblige. La marine, c’était le sol... On sent qu’il n’oubliera jamais cette clé fondatrice. Mais quelle est sa gamme ? Ses camarades de promotion ou les nombreuses activités qu’il a faites et qu’il fera encore tellement il a de cordes à son arc. Passé des ascenseurs aux voiliers, de la commémoration du débarquement aux yachts de luxe, il est aujourd’hui romancier. Il me dit ça comme s’il s’agissait d’un simple job. Bravo l’artiste ! Sensible, attachant, il est toujours le premier à dynamiser notre bande de potaches pour être ensemble, vivre ensemble, se souvenir, se soutenir et monter mille projets. Lui aussi a raison ! On ne peut pas avoir vécu trois ans ensemble ces moments formateurs de notre vie d’adulte et ensuite s’ignorer. Inutile de nous tricher à nous-mêmes, nous nous connaissons par coeur, du désinvolte au besogneux, du radin au généreux, de l’individualiste au solidaire, du modeste au flambeur... C’est bien parce que chaque case est remplie que notre patchwork est si complet,...pardon, que notre piano va du do mineur au si majeur. J’attends ton nouveau roman, Philippe, le treizième ... Enchante-nous, fais-nous rêver avec Caroline K de ces nouvelles berges que, marins qui croyons avoir tout vu, nous n’avons pas encore explorées ou atteintes.

Après ceux partis depuis longtemps et si attachés, il y a notre ribambelle de “jeunes civils” : Bénédicte au nom d’Hubert, Vincent, tout sourire d’avoir rebondi chez DCNS ouvrent le chemin de ceux qui préparent leur grand saut : Patrick aux aguets, homme du silence sous-marin, pas un mot au-dessus de l’autre... Voire pas un mot du tout ; Jean-François qui s’apprette à quitter le monde du renseignement et des relations internationales pour un poste... allez faisons le pari... à l’étranger. Cinquante ans, génial de repartir à cet âge charnière on a tant acquis, on peut tant offrir qu’au-delà de l’angoisse naturelle de ne rien trouver tout de suite, la recherche doit ressembler à un jeu de carte : en souhaitant le roi de coeur, c’est la dame de trèfle que je retourne (peu séduisante), puis le 10 de carreau (pourquoi pas, grand chez les petits) ou pire le valet de pique (pour qui me prennent-ils ?)... Bon courage en tout cas les amis, je ne vous oublierai pas si j’entends parler d’un travail où je vous imagine heureux.

Jeune beau-père (il est vrai que j’ai eu le premier bébé de la promo, suivi de près par Jean-François et Eric, tous avant même d’embarquer sur la Jeanne), je retrouve les père précoces... aujourd’hui grand-pères. Stéphane, Pierre ont beau me dire qu’ils sont gâteux de leur progéniture deuxième génération, je les sens surtout fiers de prolonger leur empreinte et toujours jeunes, la discussion dérivant illico presto sur leur soif de projets... professionnels. La question éternelle du partage vie privée/vie professionnelle demeure identique qu’on soit grand-père ou pas... Ouf, cette étape que j’imagine assez proche ne me fera pas totalement changer de monde.

“Toutoune”, je me retourne. Cette soirée ne pouvait s’achever sans qu’un d’entre eux m’appelle par ce surnom enfantin, un peu grotesque... mais sans doute adapté à ??? ...je ne veux pas savoir. Dans sa tête, dans leur tête, je suis peut-être resté ce gamin qui, le soir de la Grande Terreur, était déguisé en Amphitrite, femme de Neptune, pour descendre les marches du hall d’honneur, “armée” de mousse à raser et autres cirages face à nos fistots tétanisés à genou et presque au bout de leur calvaire.

Chaque “toutoune” que j’entends me plonge dans ce flot de souvenirs heureux, de fêtes insouciantes, de cette bande de jeunes qui croquaient la vie à pleine dent, de cette ambiance de camaraderie que je souhaite de tout coeur pour mes enfants. Plutôt prompt à regarder devant et construire l’avenir, je ne peux m’empêcher de dire “La Baille ! Quelle belle époque”.

2009 aura non seulement été le trentenaire de notre promotion mais pour beaucoup le cap des cinquante ans... C’était l’âge de notre “pape”, l’amiral Denis, quand nous étions bordaches. Quel chemin parcouru ! Que d’escales, que de métiers, que de rencontres, que de vies... Se retourner ferait presque peur ou donnerait la grosse tête, alors avançons, nous avons chacun construit des familles, bâti des patrimoines, répondu à des passions qui ne demandent qu’à prospérer. Ils attendent beaucoup de nous, nous n’avons pas le droit de les décevoir et ce soir du 3 décembre, mes amis, vous m’avez tous montré que votre goût de vivre, votre énergie, votre envie d’avoir envie, comme le dirait l’un de mes moteurs, sont là et bien ancrés pour la réussite de vos projets, de votre avenir.

Dans cinq ans, dans dix ans, nous nous retrouverons avec quelques cheveux gris supplémentaires, accompagnés de nos héroïnes dont je n’ai pas assez parlé mais qui ont tant oeuvré pour nous rendre si forts. Attendris par nos enfants, devenus adultes - quelques-uns dans la marine (n’est-ce pas Eric, Laurent, Philippe, ...) - nous ferons encore moult projets et les partagerons, les yeux brillants mais que sera devenue la Marine et qui sera encore marin parmi nous ? Les paris sont lancés...

En tout cas, j’ai passé, grâce à vous tous, une très très bonne soirée. Qu’elles se renouvellent !

Amitiés sincères et profondes

Antoine alias T..T..N."

lundi 21 décembre 2009

Caroline K Pop

La fraîcheur du sujet, la précision du trait, la vivacité des couleurs, le mouvement léger et toujours délicat, tout Caroline K est dans sa dimension pop.

Le talent est vibrant, il appelle le regard dans chaque toile. et je ne m'en lasse pas.

Vous non plus, j'espère !




samedi 19 décembre 2009

Mon dernier livre


Voici la couverture de mon dernier livre. Il est paru chez SPE Barthélémy, un éditeur spécialisé dans les beaux livres.

480 pages sur l'histoire des premiers sous-marins français, de leur naissance à la première guerre mondiale. Un aventure technologique et humaine méconnue, pleine de bruit et de fureur...

Co-écrit avec des amiraux érudits, illustré de main de maître par Michel Bez, peintre officiel de la Marine, doté d'une iconographie riche et rare, cet ouvrage fait déjà référence dans le milieu des sous-mariniers.

A lire sans attendre, et à offrir même aux néophytes. Et en plus, je le dédicace !

mardi 15 décembre 2009

30 ans après...


Pour la première fois de mon existence, je franchis, en voiture, le porche voûté du 2 rue Royale, à Paris. Je pénètre dans la cour de l'État-major de la Marine ce 3 décembre, à 19h35. J'ai une sorte de trac, bien qu'il ne s'agisse pas de passer en scène. Le ventre noué, je gare le carrosse.

Sous une arche vitrée, j'aperçois un vestiaire tenu par un capitaine de vaisseau. Pas tradi. Caroline et moi marchons vers cet accès, où l'on aperçoit derrière les porte-manteaux un escalier magistral qui se déroule vers l'étage. Une suspension lumineuse pend par un fil, comme arrimée à nulle part. Je pousse une porte... qui reste fermée. Mon entrée est loupée. C'est par une autre arcade qu'il faut pénétrer. Sommes-nous les premiers ? Presque. Je pose mon pardessus, ajuste ma cravate sous l'oeil amusé de ma compagne. Quelques mots à Patrick qui accueille et nous gravissons ces marches majestueuses. Nous y sommes enfin. J'étais impatient et voilà que j'éprouve une appréhension. Nous voici à quelques pas des salons grandioses de l'Etat-major de la Marine pour une ribote pas comme les autres : nous allons fêter les trente ans de notre promotion de Navale.

Après un long couloir lambrissé, dont les murs portent des tableaux de marins illustres (non, je n'y suis pas...), nous entrons dans une pièce au plafond inaccessible, dont les grandes vitres donnent sur la place de la Concorde. Le calme de cette pièce contraste avec les feux blancs et rouges qui se croisent au dehors. Ici, sur une moquette épaisse et rubiconde, sous des dorures étincelantes, sous des lustres à l'éclairage doux mais suffisant, les regards se croisent. Qui c'est ce barbu que je ne reconnais pas ? Ça commence bien... Frédéric et Régine, Marc et quelques autres sont là, déjà lancés dans des conversations. Notre arrivée les interrompt, mais qu'importe. Au fur et à mesure que le temps passe, cette salle somptueuse se remplit d'uniformes, de costumes, de robes et de tailleurs. Les sourires illuminent les visages mûris au gré des vents de la vie, les cheveux blancs témoignent des heures passées dans les embruns salés. J'ai toujours ce noeud dans l'estomac, mais je m'en accommode, les douces bulles d'un champagne frais aidant. Malgré ma tignasse et ma barbe de trois jours, pourtant rasée du matin, les copains me reconnaissent. Leurs poignées de mains fermes et longues me disent la joie de nous revoir, de nous retrouver. Je leur présente Caroline qui m'épate par son aisance dans ce cénacle qu'elle découvre. Elle qui aime les uniformes, elle peut même en admirer avec des étoiles.

C'est drôle comme chacun s'expose. Sur les quatre amiraux présents, le cinquième étant retenu à Londres, deux sont venus en uniforme de Toulon, avec leurs étoiles nickelées bien astiquées. Les deux autres, parisiens par leur affectation, sont en costume de ville. Ils sont tous beaux, mes potes, et ils n'ont pas changé. Et puis voilà les loufiats, Maillard et Desclèves, devenu amiral. Je n'avais pas revu ce dernier depuis l'École navale. C'est comme si nous nous étions quittés la veille...

L'apéritif se déroule sur une tonalité d'amitié et de redécouverte mêlées. Les uns et les autres prennent des nouvelles, demandent ce qu'ils sont devenus, notamment pour ceux qui sont en pékin. Les chemins sont tracés, de beaux sillons bien droits, profonds, établis, sans bavure. Je me sens d'un coup différent et pourtant si proche. Avec mon sillage hésitant, avec mes erreurs de navigation, je suis loin de ces parcours sans faille. J'assume pourtant mon héritage artistique, issu de ces pages des quotidiens où je leur montrais mon père et ses acolytes de scène, emplissant une pleine page les lendemains de première... Je suis aujourd'hui un auteur, je le dis, je le clame, et mes vieux amis m'encouragent sans mollir. Merci les gars, vous me touchez, vous me comprenez, et je me sens des vôtres, même si je tire des bords carrés.

Ils sont arrivés, Yannick (j'ai peut-être les cheveux trop longs, mais tu ne portais pas de cravate !), Guillaume, Patrick, Pierre, Jean-Yves, Stéphane, Frédéric, Jean, Philippe, Frédéric, Charles-Henri, Renaud et tous les autres comme Alain ou Antoine. En les voyant, je revis intérieurement ces mois de potaches, cette arrivée un matin de septembre, dans un car bleu marine, descendant vers le bâtiment des élèves, prenant possession de cette école où nous allions passer deux années de farces et de façonnage. Nous y avons appris à manoeuvrer, à naviguer, nous nous sommes formé l'oeil, à l'écoute de nos capitaines d'escouade et des équipages des bateaux gris à bord desquels nous embarquions. Je revois la terrible tristesse de cette nuit atroce où nos camarades périrent sous nos yeux. Je revois aussi ces moments indescriptibles où la « geule », le mal de mer, nous prenait dans la rade, en route dans le goulet de Brest vers l'ouest, où l'on se demandait ce que l'on foutait là. Je revois ces quarts de nuit interminables, en passerelle découverte, transis de froid, dans la brise nocturne et glaciale. Je revois ces escales où les « PO » (par obligation) alternaient avec les soirées dans les boîtes de nuit parfois louches, où notre fierté de porter l'uniforme était palpable. Je revois cette vie d'insouciance qui nous préparait aux plus hautes responsabilités. Avez-vous vu, mes amis, les mêmes images que moi ?

Nous passons à table après que Marc, qui est un peu notre hôte, nous ait affranchi de quelques points et faits historiques relatifs aux lieux prestigieux où nous nous trouvons. Le poste 81, complet, se rassemble à une même table. Les épouses et compagnes d'un bord, les jules de l'autre. Oui, je sais, toute la huitième escouade était faite de jules, mais le poste 81 en était le guide ! Allez-y, râlez, les autres. Il fallait bien que remontent les vieilles fausses querelles, non ? Dans l'argenterie traditionnelle, la porcelaine et le cristal, tels que nous les avons pratiqués dans les carrés, un délicieux repas est servi. Les discussions de tous ordres naissent d'un côté, les blagues et les souvenirs les terminent de l'autre. Aux autres tables, la disposition plus conventionnelle laisse place à d'autres échanges. À la nôtre, les femmes ont aussi leurs sujets, faisant connaissance ou évoquant des souvenirs communs, elles aussi. La bonne humeur trône.

Après un dessert remarquable, après l'intervention inévitable de Pierre qui remercie en notre nom à tous le personnel qui nous a servi et nourri, nous regagnons le premier salon pour un after tout simple. Le champagne refait son apparition et nous prenons le temps de converser avec ceux que nous n'avons pas eu le loisir de voir avant le repas. Et puis, l'heure avançant, les premiers prennent congé. Caroline et moi mettons plus d'une demi-heure à dire au revoir...

Vers 23h30, je franchis le porche dans l'autre sens. Je n'ai plus de trac. Juste un peu d'amertume de devoir déjà partir. C'était vraiment bien. Merci les amis.

Il m'aura fallu dix jours pour digérer, non pas ce bon dîner, mais cette soirée d'émotions et de plaisirs. Il m'aura fallu dix jours pour être en mesure de raconter ce moment inoubliable. Il est gravé dans ma mémoire, comme tant d'autres passés en compagnie de cette bande de voyous, de gamins devenus hommes libres à force de chérir la mer.

Il m'aura fallu trente ans pour comprendre bien des choses. Et pour accepter tant d'autres. Mais ce soir-là, pas un seul instant je n'eus le sentiment que notre promotion était plus vieille que nous lorsque nous avons intégré la Baille. Nous avions vingt ans. Ce 3 décembre, nous les avions toujours.

jeudi 3 décembre 2009

Minable

En août 2008, des soldats français, dans l'exercice de leur métier, trouvaient la mort au cours de combats en Afghanistan. La douleur des familles qui ont perdu un fils, un frère, un mari ou un père, est légitime et partagée par la nation dans son ensemble. Il n'a jamais été question, du reste, dans l'esprit de quiconque, de minimiser la tristesse et la colère qui animent ces parents tragiquement affectés.

Ce qui me fait réagir ici réside dans la posture de certaines de ces familles qui poursuivent l'État en justice, pour homicide involontaire. Par une plainte déposée à l'encontre de la Défense, ces gens entendent obtenir la vérité sur les évènements qui sont à l'origine de la disparition de leur proche. Vérité, mais quelle, vérité ? Celle qui consiste à accuser un capitaine ou un lieutenant d'avoir manqué à leurs responsabilités, pris par la surprise de l'embuscade ? Celle qui consiste à accuser les Armées de ne pas fournir le matériel adapté et en suffisance ? Celle qui consiste à accuser l'État-major des Armées, et sa cohorte de généraux et amiraux, de négligence ? Celle qui consiste à désigner le chef des Armées et la politique de Défense de notre pays comme seuls responsables de la mort de ces soldats ? Quelle Vérité ?

La guerre d'aujourd'hui, qui se déroule contre des ennemis indiscernables car ne portant d'uniforme, cette guerre dont le théâtre d'action se situe hors de notre territoire, nécessite l'envoi de troupes et de forces en des terrains mal connus, et génère de fait une prise de risque nouvelle, différente et plus importante que si l'on bataillait dans nos plaines comme ce fut le cas il y a soixante-dix ans. Le soldat, qui n'est plus un conscrit, en est conscient lorsqu'il débarque sur ces lieux étrangers, quel que soit son grade. Il sait que son engagement comporte une part sublime, ce don de soi qui fait de son métier une profession exceptionnelle : mourir au combat.

Ce ne sont pas que des mots, les faits le démontrent, malheureusement. Incriminer la responsabilité du chef de patrouille, lui faire porter la mort de ses hommes alors que lui-même était aussi sous le feu des embusqués, relève d'un manque de dignité de la part des accusateurs. Cette posture révèle également une ignorance coupable du combat rapproché. Avant de montrer du doigt, il conviendrait de tenter de comprendre. Peut-être qu'à la lumière d'une explication réaliste, ces parents révoltés pourraient moduler leur position.

On veut aussi désigner le matériel inadapté comme cause de la mort. Encore une fois, il s'agit-là d'une méconnaissance chronique du milieu. Les tenues sont fournies au militaire en fonction des études, des expériences et des besoins particuliers. Pour entretenir son paquetage, le soldat reçoit une prime qui lui permet de parfaire son trousseau. Lorsque j'étais jeune officier, les quarts en passerelle se faisaient, sur les petits bateaux, dans le vent et les embruns glacés du golfe de Gascogne. Pour se prémunir du froid, les protections fournies par la Marine étaient, dans le détail, insuffisantes. Alors, sur nos deniers personnels, nous achetions des cache-col, des cagoules, des gants, brefs tout ce qui pouvait contribuer à une meilleure exécution de la mission. Personne ne sen plaignait, et les idées des uns bénéficiaient aux déboires des autres. Alors pourquoi aujourd'hui souligner avec insistance l'inefficacité des gilets pare-balles, et des équipements du fantassin ?

Et puis, il y a dans cette démarche un manque de citoyenneté manifeste. Si l'on peut comprendre le rôle de l'avocat qui défend des causes perdues, cette recherche de responsables qu'il faudrait punir est la négation du rôle de l'armée dans son ensemble. D'ailleurs, la plainte est-elle recevable ? Si la réponse est positive, nous serons à l'évidence entrés dans une démarche d'« américanisation » de nos institutions, où le moindre défaut pourra être traîné, avec son ou ses auteurs, devant un tribunal. Que se serait-il produit si les familles des soldats morts au combat en Indochine ou en Algérie avaient déposé plainte il y a plus de trente ans ?

Pour une fois, je rejoins le président de la République qui a déclaré récemment que les faits de guerre ne sont pas des faits divers. Notre monde est en guerre, et notre pays, puissance militaire qu'on le veuille ou non, y défend la liberté et lutte contre le fanatisme qui s'exprime par la violence. C'est ainsi, c'est notre époque. Le champ de bataille est la rue, la campagne, mais pas une zone délimitée où deux forces se heurtent dans un choc frontal. La presse, au lieu d'alimenter des polémiques, devraient l'expliquer. Quant à nos soldats, toute position hiérarchique occupée, ils sont compétents quoi qu'en pensent ou disent quelques esprits chagrins.

Oui, je trouve que cette plainte est minable. Lorsque je portais l'uniforme, j'avais intégré dans mon engagement l'éventualité de donner ma vie, comme tous mes camarades. Par respect pour ces hommes qui portent au loin nos valeurs et l'honneur de notre patrie, il conviendrait que les familles en deuil admettent, avec dignité, le sacrifice que leurs proches ont eux-mêmes accepté en conscience.