jeudi 24 décembre 2009

30 ans après, la suite

A son tour, mon ami Antoine, brillant officier (comme nous tous !) de la promo 79 de Navale, apporte son témoignage à notre soirée de du début du mois. Merci et bravo pour cette contribution que je publie à sa demande, sans en changer un mot. D'ailleurs, si ce nouveau billet inspire d'autres camarades, envoyez-moi votre proposition. Je la publierai si vous le souhaitez. Mieux : si nous sommes assez nombreux à témoigner de cette soirée, nous pourrions en éditer un petit recueil pour la mémoire, comme un album promo. Ainsi, les absents pourraient piocher dans ces visions les images qu'ils ont manquées. Au fait, le photographe qui a mitraillé le cocktail a-t-il fait de bons clichés ?


"Mardi 3 décembre 2009, 19h35... Fin de journée habituelle dans mon bureau de la DPMM ; face à moi, une pile de dossiers que je n’ai pas eu le temps de consulter et signer, à gauche cette vue imprenable sur les colonnes du ministère de la Marine, la place de la Concorde et surtout le Grand Palais. Quel luxe ! Profiter au quotidien de ce panorama... Je ne me lasserai jamais de ce coucher de soleil sur le Grand Palais, ce drapeau français au dessus de la coupole, seul symbole de couleur dans la nuit parisienne. Là planté, immobile, notre identité nationale fièrement installée au coeur de notre capitale.

... Journée habituelle, non pas vraiment, Charlotte est à Londres pour une semaine et ne particpera pas à cette réunion d’anciens. Qui trouverai-je dans quelques minutes dans les salons de l’hôtel de la Marine dont la lumière monte déjà jusqu’à mon bureau ? Version anciens combattants avec un refuge dans le “tu te souviens de...” un peu pathétique ou version cadres bourgeoisement installés et plein de projets ?... Il y aura certainement les deux et tant mieux. Comme tous les jours, je me répète Mac Arthur en enfilant ma veste galonnée et médaillée “la jeunesse n’est pas un âge, elle est un état d’esprit”... J’espère que nous nous retrouverons entre jeunes ce soir.

... Arrivé dans les salons, une banalité pour le chanceux que je suis, habitué aux buffets, déjeuners de travail ou commissions supérieures mais tout de même, Marc nous rappelle le remarquable travail accompli par le biais d’un mécénat. C’est le lieu qu’avait choisi le Président Mitterand pour recevoir ses hôtes prestigieux en 1989, aujourd’hui, le prestige s’appelle Denis, Vincent, Alain et les autres. Quarante camarades de promotion dans cette caverne sous les ors, les rouges, les bleus et surtout les lustres et les regards complices de quelques anciennes figures maritimes. Comment avant de penser aux amis présents, ne pas être ébloui devant ce génie français ?... Oui, je le reconnais, je ressens une certaine fierté et une profonde émotion face à ce patrimoine parisien qu’ont réalisé nos prédécesseurs. Et dire que dans quatre ans ou peut-être moins, il faudra passer la main, j’espère encore que la sagesse l’emportera et que notre république ne bradera pas ce bijou.

Au-delà du décor, ce sont mes amis de trente ans que je suis venu retrouver. Premières impressions : ils vont bien ! Jugement prétentieux penseront certains ; non ! Avis instinctif de quelqu’un qui baigne dans les RH depuis plusieurs années et qui mesure jour après jour le poids du “struggle for life” cher à Darwin si prégnant pour de nombreux marins, de nombreux humains. Dans notre pays trop riche d’enfants gâtés, on a construit des être fragiles sans résilience. Notre génération, notre promotion a-t-elle été épargnée ou a-t-elle rebondi quand il le fallait ? En tout cas, “ils” vont bien et la soirée sera joyeuse.

J’aime que mes amis réussissent et j’ai une véritable admiration pour ceux qui se sont glissés dans le monde civil et y ont trouvé une activité intéressante et épanouissante. L’étape est peut-être moins compliquée à franchir que je l’imagine ... Mais on ne m’ôtera pas de l’idée qu’on y défend d’autres valeurs - sans aucune hiérarchisation entre elles - et que cette mutation est une profonde rupture.

Revenons à cette soirée où trente ans après, on se retrouve mais dans des registres tous différents : vieux couples/jeunes couples, grand-pères/jeunes papas, parisien/provincial, métropolitain/expat, sédentaire/voyageur... sans oublier militaire/civil. On ne peut pas ne pas évoquer ces trois années partagées sous le regard exigeant et... protecteur de nos loufiats (deux sur trois seront présents).

Quelques coupes de champagnes, des toasts, pas besoin d’ice-breaker, les décibels sont vite au rendez-vous et les discussions se succèdent. On croit s’éloigner de son monde professionnel mais très vite, les échanges tournent autour de l’A400M et son retard, des exportations hypothétiques de Rafale, du battle lab de Thalès à quelques jours de décisions internes stratégiques... Aurions-nous les manettes de la Défense ? De N- 100 que nous étions à l'École navale, nous avons certes franchi quelques échelons mais restons modestes et attendons encore quelques années pour qu’il y ait parmi nous peut-être un véritable décideur...

Halte aux parenthèses, retour au coeur de cette soirée et ses pépites : le Sénégal, l’Inde, la Libye, les États-Unis, la Grande-Bretagne... Autant de lieux que nous racontent nos aventuriers de l’industrie, ils ont pris le relais des escales.

Il est temps de passer à table. Bravo Marc pour cette organisation, dîner assis dans les grands salons pour environ quatre-vingt convives, personne ne l’oubliera. “Jules” très ouvert, je choisis une table de “marcels” et “seuteux”. Mes voisins, cadres sup, découvrent les méandres de la haute administration ou des couches dirigeantes : billard à trois bandes, batailles d’égo, cooptations... Il est un moment ou un stade où on sort du rationnel, l’important est de trouver sa place dans cet environnement, dans ces réseaux, garder son éthique et en final croire en la victoire d’une certaine morale. Entre coups tordus et exploits personnels décrits avec fanfaronnade ou humilité selon le caractère des individus (pour ça, peu de changement par rapport aux années 79/80), le dîner donne l’occasion d’un partage très sympa et de découverte mutuelles enrichissantes. Pierre, en porte-parole tonitruant (on ne le refait pas et on l’aime comme ça) de l’hôte du soir (Marc) n’a bizarrement pas posé de questions mais donné le mot de la fin en remerciant avec justesse les serveurs et cuisiniers. Retour dans le salon diplomatique pour poursuivre le tour des copains et conjoints : eh toi ? “retraité, c’est ma femme qui bosse !” dit avec un grand éclat de rire et en présence de la dite “femme” apparemment pas malheureuse de la situation... Il est vrai qu’ils (les gestionnaires de la DPMM bien sûr) ont voulu le mettre dans un bureau en face d’un ordinateur, ce n’était vraiment pas son truc, il a choisi, bravo Yannick.

Les figures de proue de notre promotion n’ont pu se déplacer : notre évèque Jean-Marie resté avec ses ouailles bretons, notre premier amiral Charles-Edouard succombant aux charmes de la perfide albion, notre majou Tanguy, toujours retenu à d’autres occupations, notre premier civil Jean-Pierre la tête dans les étoiles, les pieds à Kourou... ou encore bien d'autres.

Mais, ils sont là !

Tout d’abord, les quatre amiraux métropolitains, fierté de la promotion. Les deux parisiens, jeunes cadres dirigeants, ont préféré la sobriété du costard-cravate, histoire de se retrouver entre copains partageant les mêmes dossiers ou plutôt la même vie du “métro-boulot-dodo” un peu abrutissante... C’est un moment de plaisir, pensons à autre chose. Nos deux toulonnais arborent fièrement leurs étoiles et ils ont raison... C’est le soleil et la joie du sud qui montent avec eux. rayonnants, ils portent bien cette promotion méritée.

Philippe, sa vie est un piano, hérédité oblige. La marine, c’était le sol... On sent qu’il n’oubliera jamais cette clé fondatrice. Mais quelle est sa gamme ? Ses camarades de promotion ou les nombreuses activités qu’il a faites et qu’il fera encore tellement il a de cordes à son arc. Passé des ascenseurs aux voiliers, de la commémoration du débarquement aux yachts de luxe, il est aujourd’hui romancier. Il me dit ça comme s’il s’agissait d’un simple job. Bravo l’artiste ! Sensible, attachant, il est toujours le premier à dynamiser notre bande de potaches pour être ensemble, vivre ensemble, se souvenir, se soutenir et monter mille projets. Lui aussi a raison ! On ne peut pas avoir vécu trois ans ensemble ces moments formateurs de notre vie d’adulte et ensuite s’ignorer. Inutile de nous tricher à nous-mêmes, nous nous connaissons par coeur, du désinvolte au besogneux, du radin au généreux, de l’individualiste au solidaire, du modeste au flambeur... C’est bien parce que chaque case est remplie que notre patchwork est si complet,...pardon, que notre piano va du do mineur au si majeur. J’attends ton nouveau roman, Philippe, le treizième ... Enchante-nous, fais-nous rêver avec Caroline K de ces nouvelles berges que, marins qui croyons avoir tout vu, nous n’avons pas encore explorées ou atteintes.

Après ceux partis depuis longtemps et si attachés, il y a notre ribambelle de “jeunes civils” : Bénédicte au nom d’Hubert, Vincent, tout sourire d’avoir rebondi chez DCNS ouvrent le chemin de ceux qui préparent leur grand saut : Patrick aux aguets, homme du silence sous-marin, pas un mot au-dessus de l’autre... Voire pas un mot du tout ; Jean-François qui s’apprette à quitter le monde du renseignement et des relations internationales pour un poste... allez faisons le pari... à l’étranger. Cinquante ans, génial de repartir à cet âge charnière on a tant acquis, on peut tant offrir qu’au-delà de l’angoisse naturelle de ne rien trouver tout de suite, la recherche doit ressembler à un jeu de carte : en souhaitant le roi de coeur, c’est la dame de trèfle que je retourne (peu séduisante), puis le 10 de carreau (pourquoi pas, grand chez les petits) ou pire le valet de pique (pour qui me prennent-ils ?)... Bon courage en tout cas les amis, je ne vous oublierai pas si j’entends parler d’un travail où je vous imagine heureux.

Jeune beau-père (il est vrai que j’ai eu le premier bébé de la promo, suivi de près par Jean-François et Eric, tous avant même d’embarquer sur la Jeanne), je retrouve les père précoces... aujourd’hui grand-pères. Stéphane, Pierre ont beau me dire qu’ils sont gâteux de leur progéniture deuxième génération, je les sens surtout fiers de prolonger leur empreinte et toujours jeunes, la discussion dérivant illico presto sur leur soif de projets... professionnels. La question éternelle du partage vie privée/vie professionnelle demeure identique qu’on soit grand-père ou pas... Ouf, cette étape que j’imagine assez proche ne me fera pas totalement changer de monde.

“Toutoune”, je me retourne. Cette soirée ne pouvait s’achever sans qu’un d’entre eux m’appelle par ce surnom enfantin, un peu grotesque... mais sans doute adapté à ??? ...je ne veux pas savoir. Dans sa tête, dans leur tête, je suis peut-être resté ce gamin qui, le soir de la Grande Terreur, était déguisé en Amphitrite, femme de Neptune, pour descendre les marches du hall d’honneur, “armée” de mousse à raser et autres cirages face à nos fistots tétanisés à genou et presque au bout de leur calvaire.

Chaque “toutoune” que j’entends me plonge dans ce flot de souvenirs heureux, de fêtes insouciantes, de cette bande de jeunes qui croquaient la vie à pleine dent, de cette ambiance de camaraderie que je souhaite de tout coeur pour mes enfants. Plutôt prompt à regarder devant et construire l’avenir, je ne peux m’empêcher de dire “La Baille ! Quelle belle époque”.

2009 aura non seulement été le trentenaire de notre promotion mais pour beaucoup le cap des cinquante ans... C’était l’âge de notre “pape”, l’amiral Denis, quand nous étions bordaches. Quel chemin parcouru ! Que d’escales, que de métiers, que de rencontres, que de vies... Se retourner ferait presque peur ou donnerait la grosse tête, alors avançons, nous avons chacun construit des familles, bâti des patrimoines, répondu à des passions qui ne demandent qu’à prospérer. Ils attendent beaucoup de nous, nous n’avons pas le droit de les décevoir et ce soir du 3 décembre, mes amis, vous m’avez tous montré que votre goût de vivre, votre énergie, votre envie d’avoir envie, comme le dirait l’un de mes moteurs, sont là et bien ancrés pour la réussite de vos projets, de votre avenir.

Dans cinq ans, dans dix ans, nous nous retrouverons avec quelques cheveux gris supplémentaires, accompagnés de nos héroïnes dont je n’ai pas assez parlé mais qui ont tant oeuvré pour nous rendre si forts. Attendris par nos enfants, devenus adultes - quelques-uns dans la marine (n’est-ce pas Eric, Laurent, Philippe, ...) - nous ferons encore moult projets et les partagerons, les yeux brillants mais que sera devenue la Marine et qui sera encore marin parmi nous ? Les paris sont lancés...

En tout cas, j’ai passé, grâce à vous tous, une très très bonne soirée. Qu’elles se renouvellent !

Amitiés sincères et profondes

Antoine alias T..T..N."

2 commentaires:

  1. Merci Antoine pour cette fresque de la promo.
    Si mes légendaires questions sont issues d'un esprit critique ou polémique, de curiosité ou simplement d'incompréhension, j'ai malgré tout quelques certitudes bien ancrées. En particulier:
    - chacun d'entre nous participe à la richesse de monde, et notre promo, dans sa diversité en est bien l'exemple,
    - pour finir en chanson, selon mon (autre) habitude, "vous, les copains, je ne vous oublierai jamais".

    Joyeux Noel à tous.

    Pierre

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  2. Merci à Antoine d'avoir produit cette belle analyse / synthèse de notre soirée des 30 ans et merci à Philippe d'avoir utilisé ce média à la mode pour que chacun d'entre nous puisse profiter de cette prose.
    Je savais mes copains de promo tous talentueux et je découvre que certains - ingénieurs pourtant - ont de vrais qualités de littéraires.

    Merci à Philippe de nous avoir aiguillonné très tôt en 2009 pour organiser quelque chose pour nos 30 ans de promo. Bravo à Marc, à Patrick et aux autres d'avoir relevé le défi et de l'avoir fort bien fait.

    On regrette après une telle soirée de ne pas avoir pu disposer de plus de temps pour profiter davantage des uns et des autres : de ceux que l'on a pas revu depuis longtemps (depuis Brest et les 20 ans, voire plus), de ceux dont on n'a pas eu l'occasion de faire connaissance jusqu'alors (certaines épouses), de ceux que l'on côtoit au quotidien mais dans d'autres circonstances et avec lesquels on souhaiterait bavarder davantage, de ceux qui ont quitté l'institution depuis plus ou moins longtemps et qui partagent désormais des préoccupations de nature différente.

    Excellente année 2010 à tous.
    Pierre pourrait chanter aussi "On s'était dit rendez-vous dans dix ans,...."

    Philippe C

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