jeudi 3 décembre 2009

Minable

En août 2008, des soldats français, dans l'exercice de leur métier, trouvaient la mort au cours de combats en Afghanistan. La douleur des familles qui ont perdu un fils, un frère, un mari ou un père, est légitime et partagée par la nation dans son ensemble. Il n'a jamais été question, du reste, dans l'esprit de quiconque, de minimiser la tristesse et la colère qui animent ces parents tragiquement affectés.

Ce qui me fait réagir ici réside dans la posture de certaines de ces familles qui poursuivent l'État en justice, pour homicide involontaire. Par une plainte déposée à l'encontre de la Défense, ces gens entendent obtenir la vérité sur les évènements qui sont à l'origine de la disparition de leur proche. Vérité, mais quelle, vérité ? Celle qui consiste à accuser un capitaine ou un lieutenant d'avoir manqué à leurs responsabilités, pris par la surprise de l'embuscade ? Celle qui consiste à accuser les Armées de ne pas fournir le matériel adapté et en suffisance ? Celle qui consiste à accuser l'État-major des Armées, et sa cohorte de généraux et amiraux, de négligence ? Celle qui consiste à désigner le chef des Armées et la politique de Défense de notre pays comme seuls responsables de la mort de ces soldats ? Quelle Vérité ?

La guerre d'aujourd'hui, qui se déroule contre des ennemis indiscernables car ne portant d'uniforme, cette guerre dont le théâtre d'action se situe hors de notre territoire, nécessite l'envoi de troupes et de forces en des terrains mal connus, et génère de fait une prise de risque nouvelle, différente et plus importante que si l'on bataillait dans nos plaines comme ce fut le cas il y a soixante-dix ans. Le soldat, qui n'est plus un conscrit, en est conscient lorsqu'il débarque sur ces lieux étrangers, quel que soit son grade. Il sait que son engagement comporte une part sublime, ce don de soi qui fait de son métier une profession exceptionnelle : mourir au combat.

Ce ne sont pas que des mots, les faits le démontrent, malheureusement. Incriminer la responsabilité du chef de patrouille, lui faire porter la mort de ses hommes alors que lui-même était aussi sous le feu des embusqués, relève d'un manque de dignité de la part des accusateurs. Cette posture révèle également une ignorance coupable du combat rapproché. Avant de montrer du doigt, il conviendrait de tenter de comprendre. Peut-être qu'à la lumière d'une explication réaliste, ces parents révoltés pourraient moduler leur position.

On veut aussi désigner le matériel inadapté comme cause de la mort. Encore une fois, il s'agit-là d'une méconnaissance chronique du milieu. Les tenues sont fournies au militaire en fonction des études, des expériences et des besoins particuliers. Pour entretenir son paquetage, le soldat reçoit une prime qui lui permet de parfaire son trousseau. Lorsque j'étais jeune officier, les quarts en passerelle se faisaient, sur les petits bateaux, dans le vent et les embruns glacés du golfe de Gascogne. Pour se prémunir du froid, les protections fournies par la Marine étaient, dans le détail, insuffisantes. Alors, sur nos deniers personnels, nous achetions des cache-col, des cagoules, des gants, brefs tout ce qui pouvait contribuer à une meilleure exécution de la mission. Personne ne sen plaignait, et les idées des uns bénéficiaient aux déboires des autres. Alors pourquoi aujourd'hui souligner avec insistance l'inefficacité des gilets pare-balles, et des équipements du fantassin ?

Et puis, il y a dans cette démarche un manque de citoyenneté manifeste. Si l'on peut comprendre le rôle de l'avocat qui défend des causes perdues, cette recherche de responsables qu'il faudrait punir est la négation du rôle de l'armée dans son ensemble. D'ailleurs, la plainte est-elle recevable ? Si la réponse est positive, nous serons à l'évidence entrés dans une démarche d'« américanisation » de nos institutions, où le moindre défaut pourra être traîné, avec son ou ses auteurs, devant un tribunal. Que se serait-il produit si les familles des soldats morts au combat en Indochine ou en Algérie avaient déposé plainte il y a plus de trente ans ?

Pour une fois, je rejoins le président de la République qui a déclaré récemment que les faits de guerre ne sont pas des faits divers. Notre monde est en guerre, et notre pays, puissance militaire qu'on le veuille ou non, y défend la liberté et lutte contre le fanatisme qui s'exprime par la violence. C'est ainsi, c'est notre époque. Le champ de bataille est la rue, la campagne, mais pas une zone délimitée où deux forces se heurtent dans un choc frontal. La presse, au lieu d'alimenter des polémiques, devraient l'expliquer. Quant à nos soldats, toute position hiérarchique occupée, ils sont compétents quoi qu'en pensent ou disent quelques esprits chagrins.

Oui, je trouve que cette plainte est minable. Lorsque je portais l'uniforme, j'avais intégré dans mon engagement l'éventualité de donner ma vie, comme tous mes camarades. Par respect pour ces hommes qui portent au loin nos valeurs et l'honneur de notre patrie, il conviendrait que les familles en deuil admettent, avec dignité, le sacrifice que leurs proches ont eux-mêmes accepté en conscience.

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