mardi 8 septembre 2009

Icare maritime

Dimanche, sur le plan d'eau d'Hyères, un bateau à voiles a franchi la limite théorique des 50 noeuds à la voile. La “une” d'un grand quotidien national nous annonce 100 km/h. Je m'étonne.Le record

50 noeuds, c'est un peu plus de 92 km/h. Pas 100. Le record établi, qui doit être validé par les instances internationales, est de 51,36 noeuds sur 500 mètres. Je vous fais le noeud à 1,852 km/h ce qui nous fait 95,12 km/h. Pas 100. Où est l'extase ? Et puis d'abord, qu'est-ce que l'hydroptère ?

Imaginez un trimaran comme on en voit pour les grandes courses telle la Route du Rhum. Une vingtaine de mètres de carbone, de matériaux composites, de technologie concentrée (et très onéreuse), pas de place pour se loger, un pur engin de vitesse. Bon, et après ? Après, ça devient intéressant car ce bateau navigue sur des foils, c'est-à-dire des ailerons attachés à la quille de chaque coque, pour faire simple. Aux basses vitesses, jusqu'à 15 noeuds environ, il se comporte comme tout bateau de ce type, évoluant sur ses coques. Mais dès que le vent le propulse plus vite, il “monte” sur ses foils et ne repose plus que sur trois patins. Et là, il entre dans une nouvelle dimension.

Barrer un trimaran de course est déjà quelque chose. Les grands surfs à 25 ou 30 noeuds, quand ce n'est pas plus, requièrent une concentration et une précision de pilotage extrêmes. Mais lorsque l'engin se met à planer, soulevant ses 7 tonnes à plus d'une mètre au dessus de l'eau, le moindre écart de barre devient un danger. Aussi, contrôler l'hydroptère constitue déjà un exploit.

L'intérêt de naviguer sur foils est de réduire la traînée hydrodynamique, c'est-à-dire le frein que représente le frottement des coques sur l'eau. Mais il est évident que cette position est instable et ne peut se révéler efficace que si le plan d'eau est bien plat, ou ne présente qu'un clapot faible. Eric Tabarly l'avait bien compris, lui qui avait conçu ce bateau. Il en avait construit une maquette à échelle réduite, mais les connaissances techniques insuffisantes et les moyens de calcul limités des années 70 l'obligèrent à remiser ce projet. Avec son assentiment, Alain Thébault en reprit le développement en 1990. Je me souviens d'ailleurs bien de cette époque où je travaillais aux côtés de Lionel Péan, un autre skipper qui eut son heure de gloire en remportant la course autour du monde en équipage. Nous étions partenaires de Rhône Poulenc pour développer un engin de vitesse qui devait atteindre 100 km/h… Thébault nous avait contactés pour recueillir notre avis, voire s'associer avec notre sponsor. Nous n'y avions pas cru, connaissant déjà pour notre modeste projet les montagnes techniques qu'il fallait bouger avant de pouvoir faire naviguer une simple planche à voile (très) améliorée.

Alors on nous annonce que ce bateau a franchi le mur du vent… 100 km/h qu'il n'a pas atteint. Voilà la preuve de l'imprécision et de la fabrication d'une nouvelle à sensation par des journalistes peu scrupuleux ni respectueux de leur métier. D'abord l'information est fausse car la limite n'est pas franchie, encore moins validée. Mais ce mur du vent… Une invention médiatique pitoyable. Si mur du vent il y a, il est pulvérisé depuis longtemps : le char à voile, dont la seule énergie motrice est fournie par le vent, a depuis belle lurette dépassé cette limite puisque le record du monde est de l'ordre de 155 km/h… Mais ces considérations n'enlèvent rien à la performance de l'hydroptère qui me fait rêver.

Ce qui me laisse plus sceptique est la suite que Thébault veut donner à ce record. Il veut traverser l'Atlantique en 60 heures (théoriquement possible) et faire le tour du monde en 40 jours… Ma perplexité atteint un sommet. Ce qui fonctionne sur une mer calme se heurte immanquablement à de nouvelles données dès que la mer s'anime, ce qui est le cas en haute mer. Que donnera ce bateau dans les quarantièmes rugissants ? Et sans aller aussi loin, comment va-t-il se comporter dans une bonne dépression du golfe de Gascogne, un coup de chien dont les marins se souviennent encore ? Les rares tentatives hauturières de l'hydroptère se sont soldées par des déconvenues pas négligeables, dont un retournement. En admettant que le bateau passe dans des mers formées, sans casser et dans une relative stabilité, comment l'équipage supportera-t-il le bruit infernal des 50 noeuds d'air et de mer qui défilent autour de lui pendant plus de 24 heures ? Et les chocs contre les coques ne risquent-ils pas à la longue de disloquer le bateau ? Alain Thébault risque surtout de se brûler les vergues à vouloir défier les éléments qui l'accueillent.

Je souhaite que les 100 km/h soient atteints et dépassés. Ce ne serait que l'illustration de la théorie développée par Manfred Curry qui a démontré que l'on pouvait aller jusqu'à 7 fois la vitesse du vent réel à la voile. Nous en sommes loin et en même temps sur le chemin. Alors hardi, les gars, la main d'ssus, à border le grand hunier et vogue le navire !

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