mercredi 16 septembre 2009

Recyclages

Finalement notre quotidien est un parangon de récupération.

Nous travaillons trop. Alors nous récupérons, grâce à cette magnifique invention que sont les RTT. La gestion de ces temps de récupération devient à elle seule une occupation importante, presque un travail. peut-être faudrait-il envisager des RT-RTT pour récupérer des RTT... Du reste, le temps de travail devient assez minime car entre les trajets, les pauses, les cigarettes, on est à peine arrivé au boulot qu'il faut déjà penser à repartir. A cet égard, l'interdiction de fumer empêche le travailleur honnête d'exercer son métier avec fluidité. En effet, pour assouvir son envie pressante de nicotine, il doit sortir de son bureau, aller à l'espace fumeur qui se trouve en des étages lointains, taper la causette (et ça peut durer) avec ses coreligionnaires, puis revenir à son bureau qui se trouve en des étages lointains, et retrouver le rythme, ce qui prend encore quelques minutes. Allez, pour fumer, il peut prévoir une bonne demi-heure... Avant, on allumait une clope à son bureau et on continuait de bosser. On se moque du travailleur, ces conditions sont inacceptables. C'est bien pour ça qu'il faut récupérer.

Je plaisante, mais dans certaines entreprises, les "conditions de travail" poussent, paraît-il, au suicide. Ce geste m'inspire une grande tristesse, voire une grande compassion à l'égard des gens qui pensent que la solution réside dans la disparition, et qui transforment leur détresse en violence. Mais je ne peux croire que l'entreprise est seule responsable. Certes, la pression, parfois le harcèlement, peuvent conduire à des extrémités. Ils sont en l'occurence le catalyseur des difficultés extérieures, des peines et des inquiétudes. Ils s'ajoutent aux poids du quotidien, qu'ils soient sentimentaux, financiers ou juste existentiels. Le choix de l'entreprise pour cadre du suicide répond à un besoin d'attirer une dernière fois l'attention des autres sur ses désarrois, de focaliser sur sa personne afin de montrer que le mal était profond et véritable. De plus, on peut noter, sans irrespect, que certaines tentatives ne conduisent pas au trépas, Dieu merci, et permettent aux partenaires sociaux de récupérer l'événement pour stigmatiser ces déplorables "conditions de travail".

Car évidemment, puisque les médias le disent, ces actes impliquent la responsabilité des dirigeants, de leur âpreté au résultat, et les syndicats s'engouffrent dans la brèche, une nouvelle occasion de faire valoir leur application à défendre le salarié. Le procédé est, à mon sens, parfaitement malhonnête. Il témoigne de cette propension indécente à faire d'un incident un sujet de révolte, de lutte, d'opposition. Et les relais d'opinion accompagnent ce mouvement sans prendre de recul parce que le type qui se donne la mort dans son bureau, ça c'est de la nouvelle, coco ! Belle récupération.

Les grands récupérateurs de tout matériau qui traîne sont bien les journalistes. Ils me font penser à ces gogos qui se font piéger dans la rue par l'indigent trouvant à leurs pieds un anneau d'or, leur cédant le bijou pour une petite pièce... Ces journalistes ne voient que l'anneau, mais pas la mise en scène. Ils plongent dans le bain fangeux et y barbotent avec délectation. J'exagère ? Pas tant que ça si on regarde la polémique autour d'Hortefeux.

Oui, il a prononcé des propos intolérables, même si c'était une plaisanterie. On peut rire de tout, sauf quand on est ministre. C'est le site du Monde qui a mis en ligne la vidéo et en a fait le titre premier de sa page d'accueil. Si Le Monde le dit, alors c'est du garanti. Et toutes les rédactions de bifurquer comme une belle section d'assaut vers ce nouveau bastion à prendre. Curieusement, le militant incriminé réfute toute insulte. C'est normal, il est militant, il a vu le ministre et il en est encore tout chose. Soit. Mais plus intéressant, le recteur de la Grande Mosquée de Paris minimise et disculpe le ministre d'avoir eu l'intention de proférer des paroles racistes. Qu'importe, les journaux n'en ont cure, ils poursuivent leur démarche de récupération et de recyclage. Sans pudeur.

Tout est récupération, surtout en politique. Un livre accuse de fraude, on récupère des bribes pour en faire un soufflé. Un ministre refuse de signer un décret inique, on récupère pour dénoncer le manque de considération du travail parlementaire. Un virus nouveau apparaît, on récupère pour affoler les populations et entretenir les ventes... La liste est longue et fastidieuse. Elle illustre l'éternel précepte de Lavoisier : rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.

Réjouissons-nous. Nous sommes bien dans une société où le recyclage est installé. Toutes ces récupérations procèdent d'une écologie sociétale dont nous devrions pouvoir être satisfait. Moi, ça me désole.

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