lundi 7 septembre 2009

Sim est parti faire des grimaces aux anges

Sim est mort hier. Cette nouvelle m'a peiné, je connaissais un peu cet homme délicieux.

La première fois que mon père l'avait rencontré, j'avais été étonné. Sim cherchait un pianiste, mon père était disponible, alors l'affaire se conclut. Cette réunion me semblait une incongruité insigne, sorte d'union de la carpe et du lapin. Quoi, mon père, ancien pianiste des Frères Jacques, tombé si bas qu'il fricote avec cet amuseur grimacier et vulgaire ? Du haut de mes vingt ans idéalistes, dans ma bulle de jeune officier, chevalier des mers et combattant des vagues, je ne voyais dans ce duo que la déchéance paternelle, et j'en nourrissais une tristesse impuissante.

Plus tard, après que le chevalier soit redevenu roturier, après que les vagues de la vie aient vaincu mes idéaux, Sim et mon père unirent de nouveau leurs destinées.

C'était après une longue nuit, de celles qui durent des mois, au cours de laquelle mon paternel et moi avions joué aux coqs… Je ne l'avais pas vu depuis deux ans lorsque j'apprends par la presse qu'il va interpréter un rôle dans la pièce que Sim a écrite Une cloche en or. Le voilà donc de retour à la scène, et une belle, celle du théâtre des Nouveautés. Mais mon père acteur ? A l'affiche, ils sont quatre : Sim, Henri Guibet, Florence Brunold, et Hubert Degex. Sur scène aussi. Un après-midi de septembre, peu avant la première, je me glissai dans la salle pendant une répétition. Et là je vis mon père debout sur un plateau. Lui que je n'avais jamais vu qu'assis à son piano, exhibant son profil droit, et dans un smoking d'un noir bleuté parfait, je le découvris marchant, parlant, prenant des airs, répondant aux autres, jouant la comédie…

Sim me fut présenté à l'issue de cette séance. Je craignais cette rencontre comme on craint de devoir se trahir. Mon étonnement fut à la mesure de ma réserve quand je perçus un homme doux, posé, vif et chaleureux. L'opposé de ce que j'avais imaginé. Par la suite, à chaque visite dans les loges, notre lien tenant à peu de choses se fit plus proche, sans intimité ni camaraderie, juste ce sourire, cette poignée de main, ce regard pétillant qui parlent sans rien prononcer. Un dimanche de l'automne 1994, la pièce se donnait à Deauville, en matinée. Mon père me proposa de les y retrouver. Dans les loges, avant le spectacle, les calembours allaient bon train. Puis vint le dernier rappel, et le temps d'aller dîner. J'allais me retirer mais toute la troupe insista pour que je les accompagne. Alors je les suivis dans une brasserie de Trouville où je passai une inoubliable soirée.

Lors de ce repas, Sim et moi en vinrent à discuter de cigares. Je ne me rappelle plus les autres sujets où il m'impressionna par son érudition et sa culture, je me souviens juste de cette simplicité qu'il exprimait dans la discussion et de la pertinence de ses remarques, éclairant telle conversation, animant telle autre. Donc nous devisions sur le cigare. Durant une vingtaine de minutes, nous échangeâmes sur ce sujet, partageant nos goûts, relatant des souvenirs de modules… Moi qui commençais à penser que je maîtrisais le sujet, je me rendis compte que je n'étais qu'un novice qui avait devant lui un territoire entier à explorer…

Quelques jours après ce moment de plaisir absolu, mon père me fit savoir qu'il voulait me remettre un paquet de la part de Sim. Intrigué, je le retrouvai chez lui où il me donna un petit colis de la taille d'un livre. Je le déballai avec impatience et à l'intérieur, une boîte de Davidoff accompagnée d'un petit mot charmant grava cette rencontre dans ma mémoire. Par amitié, parce qu'il était gentil par nature, Sim m'avait fait un cadeau.

Cette anecdote revient souvent à mon esprit. Elle a pris depuis hier une tendresse particulière. Maintenant, quand je fumerai un beau module, je regarderai les volutes pour voir si une grimace de Sim ne s'y cache pas…

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